Claude-Hubert Tatot a travaillé avec :
Oumar Badiane, Mariama Diallo, Mahécor Diouf, Aby Faye, Abdoulaye Gaye, Amadou Ndiaye, Balla Ndiaye.

Une volonté commune d’échange
Pour son troisième volet d’échanges entre la Suisse et le Sénégal, TGD 3 a invité plasticiens, designers, céramistes et créateurs textiles de Genève à exposer leurs travaux dans une annexe du musée de l’IFAN et à diriger des ateliers de pratiques avec les étudiants de l’Ecole Nationale des Arts de Dakar.
Pour la première fois, un atelier était aussi ouvert aux étudiants des filières d’éducation artistiques et d’animateurs culturels. Une conférence publique consacrée à l’éducation culturelle devait clore la soirée de vernissage et introduire le séminaire réservé aux étudiants.
A l’instar de la Cellule pédagogique, qui répond à la demande et aide les enseignants à construire leurs propres projets en lien avec les œuvres du Bâtiment d’art contemporain, j’ai pensé mon intervention sous forme de dialogue avec mes interlocuteurs. La cellule ayant toujours privilégié la liberté de parole aux discours autorisés et fondé son travail sur l’ouverture, l’interaction et la collaboration, il me semblait juste de mettre en pratique ces postulats plutôt que de les présenter ex cathedra.
Dans cette optique et afin de permettre aux acteurs culturels de Dakar de s’exprimer, j’ai animé et conclut une table ronde sur l’éducation culturelle en lieu et place d’une conférence. Il était en effet plus judicieux de répondre aux questions en s’appuyant sur l’expérience Genevoise que de proposer la Cellule pédagogique et le bâtiment d’art contemporain comme un exemple détaché de tout contexte.
Lors de leurs interventions, le Directeur de l’Ecole nationale des Arts, un parlementaire membre de la commission culturelle et un représentant du Ministre de la Culture se sont accordé sur l’importance de la culture et des arts plastiques en matière l’éducation.

Les débats nourris avec un public, essentiellement composé d’enseignants, de journalistes et d’artistes ont tourné autour de la formation des enseignants et des élèves en arts plastiques. Alors que le théâtre, la musique et la danse se développent dans le cadre d’associations jumelées avec des associations sportives, les arts plastiques ne bénéficient pas de ce système, en revanche ils sont enseignés à l’école au même titre que la musique et ce dans des conditions difficiles.Les participants à la discussion ont également déploré l’absence de lieux permanents consacrés à la présentation, de diffusion et d’étude des œuvres d’art plastiques contemporaines. En fait, Dakar n’a pas de musée d’art ni ancien ni contemporain.

Après la fermeture du musée dynamique, le musée de l’Institut Français d’Afrique Noire (IFAN) reste le seul établissement qui présente au public des collections d’objets ethnographiques. Rattaché à un département de recherche de l’université, sa muséographie très datée est plus tournée vers un public informé, érudits, chercheurs ou touristes avisés que vers une large ouverture au public.

Cette absence de lieux d’expositions empêche de fait toute collaboration entre école et musée telle qu’elle est pratiquée en Suisse. Le matériel que j’avais apporté, des dossiers pédagogiques élaborés par la cellule à partir des expositions et des diapositives présentant le Bâtiment d’art contemporain permettaient d’informer les étudiants de la situation genevoise, mais ne pouvaient pas servir de base de travail pour des exercices pratiques que les étudiants auraient pu adapter ultérieurement. L’exposition des artistes suisses offrait d’intéressantes perspectives, cependant, sa durée n’excédant pas celle du séminaire, elle ne constituait qu’un cas d’école.

Un travail fructueux ne pouvait donc se faire qu’en discutant avec les étudiants. Il était impératif pour créer une plate-forme d’échanges et imaginer des actions concrètes, de lister avec eux les besoins et les ressources disponibles à Dakar. A ce titre, il est important de rappeler que ces derniers ont bien faillit ne pas être au rendez-vous. En effet, l’école avait donné congé aux étudiants d’animation culturelle leur annonçant qu’aucun programme ne les concernait et ce malgré nos différents échanges pour la mise en œuvre de ce séminaire avec l’Ecole Nationale des Arts.

Sans une rencontre fortuite avec un étudiant le premier matin, l’atelier aurait donc tourné court faute de participants. C’est par la volonté même des étudiants, organisés en association, que la rencontre s’est produite, les uns ayant prévenu les autres, un groupe de sept a pu se constituer à partir du 3e après-midi.

Dans l’attente d’un auditoire plus fourni les discussions avec les premiers étudiants ont été aussi informelles qu’ouvertes. Nos débats centrés sur la notion de culture et sur la formation qu’ils recevaient ont permis aux étudiants d’exprimer leurs attentes et de mettre en évidence la différence entre les missions que j’assume en tant que responsable d’un projet qui participe avec d’autres acteurs à l’ouverture du public des institutions culturelles et celui d’un responsable de centre culturel. En effet, à Dakar, ces centres s’apparentent à des maisons de la culture avec une programmation autonome dont le champ d’intervention est vaste. Il englobe aussi bien l’apprentissage de la transcription écrite de la langue orale la plus développée au Sénégal : le wolof, que la danse, la musique et le théâtre.

Prendre cette réalité en compte demandait d’élargir le propos et de voir si le principe fondamental de la Cellule qui est de faire des liens entre différents partenaires pouvait être mis en œuvre et adapté de manière pertinente pour que les étudiants élaborent et réalisent des actions.

Les étudiants voulaient développer des évènements culturels dans le cadre de TGD3 et ne manquaient pas d’idées. Cependant, leurs ambitions dépassaient largement le temps et les moyens dont nous disposions(1) . Ce problème s’est avéré dans un premier temps totalement paralysant. Alors qu’ils envisageaient des évènements d’ampleur, il leur était difficile d’imaginer des actions modestes. La plus grande difficulté était de mettre en adéquation ce que chacun souhaitait et ce qui était réalisable. Il me revenait de montrer ce qui restait envisageable alors même que, pour les étudiants, rien ne semblait l’être. Le désir de faire l’impossible les empêchant entrevoir toute possibilité de faire, il fallait rompre avec les modèles et inventer d’autres manières d’agir.

Se mettre au service des autres intervenants et des autres étudiants apparaissait comme une solution peu spectaculaire, mais réaliste. Elle a eu pour vertu de sortir de l’impasse et de mettre les étudiants face à des problèmes concrets. Les discussions entre les animateurs culturels, les intervenants et les autres étudiants ont permis de repérer un certain nombre de demandes que nous pouvions satisfaire. Elles avaient l’avantage de s’inscrire dans le temps du séminaire et de mettre les animateurs culturels en situation d’éprouver leurs capacités à faire.

Les créateurs textiles travaillant sur le thème de la fleur cherchaient un lieu adéquat pour dessiner d’après nature. Voir, analyser et commenter la production artisanale de textiles et de meubles, intéressait créateurs textiles et designers. Tony Morgan voulait monter à l’ensemble des étudiants les vidéos réalisées par ses élèves en atelier. Tous souhaitaient une présentation de l’exposition des artistes suisses.

L’organisation de ces visites, bien que simples, a soulevé des problèmes et des questions que les animateurs culturels auront à gérer à une plus grande échelle : repérer les besoins et les attentes de chacun, s’assurer de la faisabilité des projets, négocier avec les interlocuteurs.

L’intérêt manifesté par les étudiants pour la mise en œuvre de ces actions prouve leur volonté de passer de la théorie à la pratique autant que leurs aptitudes à le faire. Ils ont entre autres fait ouvrir pour notre groupe le jardin botanique en dehors des heures habituelles. Après avoir discuté avec les artistes suisses, ils ont animé avec brio une visite qui mêlait présentation de démarches, descriptions d’oeuvres et commentaires personnels pour l’ensemble des élèves. Parallèlement à ces visites destinées à tous, le groupe a organisé ses propres visites. Leurs démarches auprès du directeur de l’institut universitaire de l’IFAN nous a permis de visiter les laboratoires de recherche en zoologie, archéologie et ethnographie et leurs collections d’études. Certains animateurs ont aussi mis leurs connaissances et leurs talents de médiateurs au service du groupe lors d’une visite au musée de l’IFAN.

Ces projets modestes ont demandé aux uns comme aux autres de s’adapter aux situations et de faire preuve de flexibilité. Ils n’ont pu se réaliser qu’après une réflexion et une remise en question d’une représentation idéale des missions et des tâches de l’animateur culturel. Cette démarche que je trouve profitable a, je l’espère, contribué à la formation des animateurs en les engageant à se poser des questions sur leurs pratiques professionnelles à venir.

Ce compte rendu qui relate une semaine d’activité ne peut rendre compte de la richesse de nos débats, de nos échanges de points de vues, des ruptures, des rapprochements et des avancées de la pensée.

Il laisse encore non pas de côté, mais plutôt en suspens, une part essentielle et plus indicible qui touche aux liens interpersonnels. L’organisation remarquable de cette troisième édition de TGD a largement favorisé les échanges. L’esprit d’ouverture qui a présidé aux ateliers, l’ambiance studieuse et chaleureuse, ont permis une circulation libre des paroles et des idées et de véritables rencontres.

Claude-Hubert Tatot

(1) À propos, il est intéressant de remarquer que TGD soutenu par le CAP est né de la volonté d’Ousmane Dia artiste, ancien étudiant de l’école des beaux-arts de Dakar vivant aujourd’hui à Genève. Ses propos assez vifs le soir du vernissage, critiquant l’absence d’une politique de soutien en faveur de la culture et des arts plastiques ont été repris par les médias, les participants aux tables rondes et par les étudiants. Si cette première partie du discours à été entendue, la seconde, qui invitait les artistes et les acteurs culturels à se mobiliser et s’organiser pour transformer leurs conditions de travail et créer une dynamique collective, n’a pas été relevée.